Quand j'étais à la technique en muséologie, nous avions désencadré des sérigraphies à l'huile, encadrées avec des vitres.
Lorsqu'on regardait à travers la vitre retirée, on pouvait voir le négatif de l'oeuvre apparaître.
Les émanations de l'huile qui étaient restées collées.
C'est pas toutes les oeuvres qui doivent être encadrées.
Dernière séance au CLSC en privé,
il y a quelques années.
Ma psy me dit qu'elle pense que je suis assez outillée pour pouvoir me gérer,
que je dois apprendre à me confier à mes amis, ma famille, mon entourage.
C'est quelque chose que les psy m'ont répété souvent,
"Vous êtes très intelligente, vous êtes certainement capable de faire votre chemin par vous-même".
L'affaire, c'est que je suis une oeuvre à l'huile encadrée avec du verre.
Je reviens à monsieur S,
Parce que je reviens encore souvent à monsieur S.
J'ai l'impression qu'il est parti avec mes années de travail de thérapie qu'il a juste jeté à la poubelle.
Je reviens souvent à Monsieur S, juste pour voir si je pourrais pas récupérer un peu de mes vidanges.
Le p'tit peu qu'il m'en restait de ce travail acharné, je pensais pouvoir me confier à mes amis,
Comme me proposent les psy,
Mais les circonstances ont fait qu'une a eu une expérience terrible, je l'ai laissée parler.
Une autre a vécu un autre truc, pis un autre, quelque chose d'autre.
Au début, je me sentais plus comme une réceptionniste derrière son plexiglass.
Répondre aux demandes, appliquer les normes administratives, parlez plus fort svp, je vous entends mal à cause du Plexi.
À un certain moment, je pensais pouvoir sortir de mon cubicule, prendre une pause, respirer autre chose que l'air vicié de mon p'tit bureau aux murs beige, séparé des autres par un esti de plexi.
J'ai commencé à parler.
L'autre m'a répondu "moi aussi" et s'est mis à pleurer.
Pis je l'ai consolé.
Ce que Monsieur S avait pas mis aux vidanges,
Je l'ai rangé soigneusement,
Et je suis allée me réfugier dans un encadrement vitré.
J'ai regardé le monde passer,
Tout en préservant mon oeuvre dans un cadre commercial au backing de papier acide,
Bien vitré, même si c'était pas supposé.
Une belle oeuvre faite par un grand artissssss,
Qui fait juste regarder le monde passer dans un salon mal décoré.
Le fantôme de mon huile se déposant au fil du temps sur la vitre,
Altérant les couleurs,
Lentement, mais sûrement,
Mais les gens s'en rendent pas trop compte,
Ça reste un beau tableau dans le salon.
Sylvia Plath parlait d'une cloche de verre,
Où elle vivait, regardant le monde dans un bruit assourdi,
Respirant un air surit.
C't'un peu ça.
J'essaye de faire revivre les couleurs de mon oeuvre,
Mais on sait tous que ça se peut pas.
J'ai l'impression de parler à travers une vitre,
Pis que personne m'entends,
Ou qu'on m'entends tout croche.
Je suis vraiment un beau tableau.
Mon drame personnel est banal,
Y'a pire,
Mais les oeuvres peuvent pas se réencadrer correctement toutes seules.
J'ai besoin qu'on enlève mon fantôme du verre.
Mes couleurs ont besoin de respirer.
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