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Les boîtes de bleuets

 Il y a une grange derrière la maison de mes parents. 

On y trouve pas mal d'affaires. 

Évidemment, la machinerie de ferme de mon oncle, 

Mais aussi du stock qui sert pu, genre des ti meubles

Entreposés sur une espèce de mezzanine 

Vraiment pas accessible. 

Les balles de foins, aussi, 

Ça vient avec la ferme. 

Pis des boîtes de bleuets.

Des piles, hautes, de boîtes, toutes du même format, 

Designées pour s'empiler l'une sur l'autre, de manière à ne pas écraser les perles d'or bleu du Lac-Saint-Jean.

Avec une division au centre. Faite pour contenir une quantité pas mal égale de bleuets.

Roses, jaunes, grises, bleues. 


Auparavant, elles sortaient à chaque mois d'août, 

Par du monde crinqués à arrondir les fins de mois

Crinqués à se lever beaucoup trop tôt pour un samedi, 

À aller dans le fond du bois. 

Par du monde qui se rappellent que ça a brûlé il y a quelques années, au X ième kilomètre, 

Dans le fond de Saint-Thomas. 

Parce que les p'tites perles bleues valaient assez cher pour qu'on veuille se rappeler de ça. 


C'était dans le temps où on écoutait encore des cassettes dans nos chars.

Dans ma famille, on y allait dans le pick up Ford à mon père, 

Au son de la cassette de Queen, qu'on connaissait par coeur. 

Je suis encore étonnée que la cassette ait jamais brisée. 

'Avait jouée plus qu'à son tour. 


Les belles boîtes, multicolores, parfaitement empilées, 

En mise en abîme, dans la boîte du pick up. 

À se rendre dans le fond du bois. 


La palandre. 

Avec des grosses chaudières

Une patente patentée par mon père

Qui récoltait en criss. 


Un outil, qu'on appelait affectueusement "la tapette".

Je sais pas si ça s'achetait ou si c'était gossé, ça aussi. 

Pis j'ai aucune idée de l'étymologie. 

MAIS, ça allait mieux ramasser avec ça qu'avec un peigne, 

Ça, ça avait un récipient plus gros.

Tu le remplissais et le vidait dans la chaudière,

Contrairement à la tapette, qui garochait les perles de bleuets directement dedans avec le mouvement, 

En t'en câlissant une su'es doigts une fois de temps en temps. 


Ça aussi, ça doit dormir quelque part dans' grange. 


Ma mère ramassait à la main. 

Elle ne cueillait par pour vendre, 

Mais pour notre propre consommation. 

Fallait lui garder les plus belles talles. 

Elle cueillait le tout minutieusement dans des pots de crème glacée,

Qu'elle avait probablement accumulé tout au long de l'année. 


Je l'ai jamais vu, mais ma grand-mère maternelle ramassait aussi à la main, 

Mais pour vendre.

Ça se faisait dans des paniers de bois minces, un peu ovales. 

Ces bleuets-là, ça se vendait pas mal plus cher, 

Puisque qu'il n'y avait pas de feuilles ou de bibittes à travers. 


La tapette elle, ramassait tout, 

Le thé du labrador, qu'on savait pas que c'était ça à l'époque, 

(C'était pas encore trendy)

Les feuilles de toutes les plantes aux alentours, 

Et une quantité assez incroyable d'insectes et d'invertébrés. 

Bref, ça se rendait à l'usine où ils devaient trier. 

Une job probablement pas mal plus plate que la cueillette. 


Mon père gossait aussi des p'tites poignées de contreplaquées sur les chaudières, 

Pour qu'elle se traînent mieux. 

Bref, l'art de la cueillette du bleuet sauvage nécessitait ben du gossage au préalable. 


Les chaudières aussi, doivent dormir quelque part dans' grange. 


C'était toujours des journées où il faisait vraiment chaud. 

On se couvrait d'huile à mouche,

Histoire de pas mourir au bout de notre sang,

Notre sueur goûtait le répulsif à bibitte un peu dégueu. 

Pis on se faisait piquer pareil. 


D'ailleurs, le midi, 

(du moins, à l'heure qu'on estimait qu'il était le temps de dîner) 

mon père sortait le p'tit brûleur au propane. 

Ma mère sortait les sandwichs jambon-moutarde qu'elle avait fait la veille. 

J'aimais pas ça, la moutarde, dans le temps, 

C'était la seule fois dans l'année où j'en mangeais. 

Mon père sortait un autre outil gossé, 

Pour toaster nos sandwichs à moutarde. 

On mangeait, à l'ombre du pick up, des sandwichs jambon-moutarde toastées, 

Avec un goût de propane et d'huile à mouche. 


Ça fait longtemps que j'en ai mangé. 

Mais il y a des saveurs qui restent dans nos têtes pour l'éternité. 

Et malgré le drôle de portrait que j'en fait, 

Le souvenir de la saveur particulière des sandwichs moutarde-huile à mouche et propane a de quoi de rassurant. 


J'ai le souvenir de Tammy, 

Notre chien, 

Un "chien d'indien", comme on appelle là-bas, 

Qu'on avait trouvée dans le bois, 

À Chapais, 

Qui faisait le tour de tous les membres de la famille, 

Un par un. 

Après avoir récolté, dans ta bulle, sans trop regarder, 

Pis que tu te levais pis que t'étais désorienté, 

T'avais juste à crier "Tammy! Tammy! Tammy!" pour voir deux p'tites oreilles blondes arriver en courant, 

tout en se prenant une couple de bouchées de bleuets direct des plants en passant. 


BTW, les plants de bleuets au lac, sont petits. 

C'est genre à environ 1 pied du sol.

Cueillir des bleuets, c'était éreintant. 


Et pourtant, 

Dans le temps, 

Mon père y allait tout le temps, 

Toute la saison qu'il fallait, du moins. 


Je le vois encore, avec sa palandre, 

Qui doit dormir dans grange, elle aussi, maintenant, 

Arriver, 

Au loin, 

Sur la montagne (pour ce que peut être le concept d'une "montagne" au lac saint-jean) 

La palandre ben pleine, 

De 4 chaudières gossées, 

Remplies de petits fruits bleus.


Pas pour me vanter, 

Mais quand j'y repense, 

J'me dis que mon père était fort en tabarnac. 


À la fin de la journée, 

On partait vendre nos bleuets. 

À l'époque, sur le chemin, 

Il y en avait plein. 

des pancartes "gossées", elles aussi. 

Écrit en bleu "Acheteur de bleuet" (concept, concept) 

Un bonhomme attendait à l'ombre, 

Que les cueilleurs arrivent pour vendre. 

La peau tannée par le soleil, 

Des liasses d'argent dans les poches. 

Parce que ça se faisait pas par transaction Interac. 

(Parce que ça existait pas, les virements Interac, mon jeune)


Généralement, je me faisais autour de 15$, que je conservais précieusement. 

Des fois je cachais cet argent-là pour être certaine de ne pas la gaspiller. 

Un moment donné, je l'avais perdu. 

Je savais pu où je l'avais caché. 

Et pour être honnête, je ne me souviens pu si je l'avais retrouvé non plus. 


Dans tous les cas, mon père, 

Le plus fort, 

Lui, c'était des 100$ que les bonhommes lui donnaient. 

Donner du bleu pour recevoir du brun. 

En papier. 

Dans le temps. 


Le bonhomme lui redonnait des boîtes vides aussi. 

Pour la prochaine récolte. 

Je sais pas si dans le temps, on se doutait qu'elles allaient dormir dans des granges, ces boîtes-là. 


Mon père m'a dit récemment que les bleuets sauvages valaient pu rien. 

J'ai quelque chose comme 30 cennes la livre en tête. 

Dans le temps, c'était toujours quelque chose comme 1,50, me semble. 

Les bleuetières de "bleuets sauvages" (lol) ont pris le dessus. 

C'est pu des familles qui les cueillent. 

C'est des Guatemaltèques. 

Qu'on paye aux environ du salaire minimum. 

Pour qu'ils puissent payer pour les besoins de leur famille. 

Là-bas. 

Les bleuetières font aussi de l'autocueillette. 

Maintenant, tu payes pour cueillir tes bleuets. 

Des gens, qui ont gossé des palandres, des tapettes et des chaudières redonnent leur argent gagné à cueillir...

pour cueillir. 

 

Et pourtant, 

Même si ado, 

Dans les années 90, 

J'avoue que j'avais un sentiment mitigé, 

Un de mes souvenirs les plus vifs reste la moutarde, le propane, l'huile à mouche, mon chien, et la musique de Queen, au X ième kilomètre à Saint-Thomas, où ça a brûlé il y a X années. 

De tout ça, 

Il ne reste que des boîtes, 

Bien empilées,

Au fond d'une grange. 




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